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LE VOYAGE DE JéNORME
LE VOYAGE DE JéNORME
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23 mai 2011

Vous prendrez bien un peu de régression...

Retour en France d'où j'étais à peine parti pour reprendre contact avec les teneurs de l'infos en ce week-end dernier qui fut court mais bref !
Une pause s'imposait pour faire le point sur l'état de la société actuelle avant de reprendre la route...

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Mais qu'est-ce que c'est que ces infos de merde qui nous font chier à nous dire que la chambre d'hôtel de l'ex-directeur du FMI était pleine de sperme ?!
Non, mais, hein, eh oh !
Cela fait une semaine que, tels des chiens de piste, les journalistes cherchent la moindre tache blanche sur les différents lieux empruntés par le très hypothétique futur président français. Un véritable DSK Sperme's Tour est lancé dans les rues de New York, un peu comme ce parcours sur les lieux de Jack l'éventreur à Londres. Tu vois des gens courir dans les rues avec des mouchoirs, des bocaux en criant parfois : "Lààààà, y'en a lààààà aussi !!!!!"
Autant te dire que les agences de voyage ne sont pas en reste...

DSK_TOUR


Pire que cela, j'ai même pu voir un journaliste intervenir en direct d'un hôtel new Yorkais pour dire que DSK n'irait pas dormir ici. C'est con, non ? Imagine, si les journalistes se mettent à aller dans les lieux où il ne se passe rien...

Bref !

Pendant que les journaux, télés et radios diffusaient minute par minute l'évolution de l'affaire DSK avec ce qu'il faut de rebondissements impromptus et incongrus à base de non-informations, une question vint se poser dans les entrailles de mon cerveau : serions-nous en pleine régression ?
Et si oui, qu'est-ce que n'est-ce que cette foutue sensation de perdre tout raisonnement réflexif par les temps qui courent ?

Je profitais donc de ma position statique de ce week-end pour tenter d'approcher une réponse quant à la question fondamentalement contemporaine : qu'est-ce que la régression ?
J'avais quelques personnes autour de moi pour me fournir quelques exemples concret, mais c'est Valérie Lehoux qui m'apportait les grandes lignes et le recul nécessaire pour observer le phénomène sans se laisser happer par ce triste mouvement de société...

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LA REGRESSION :
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QU'EST-CE QUE QUOI ?
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En arrière toute !

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Sur les scènes, les écrans, les disques, le compteur de la création semble grippé pour avancer de plus en plus... à reculons. (...)

Au cinéma, Potiche de François Ozon ressuscite une comédie de boulevard des années 1970 qui aurait été taxée de ringardise il n'y a pas si longtemps. Au rayon disques, de vieilles gloires des années 1970, 1960 et même 1950 retrouvent une soudaine existence médiatique : Line Renaud, Guy Béard et Charles Dumont ont récemment sorti un album. Dans les théâtres et les music-halls, on ne sait plus à quel souvenir se vouer entre un hommage à Joe Dassin sans cesse prolongé, la tournée Age tendre et têtes de bois(complet) ou les spectacles à la gloire du groupe pop Abba (qui s'est dissous en 1982). (...)

 potiche_10_11_2010_4_g line_renaud age_tendre joe_dassin AFFICHE_SPECTACLE_ABBA_MANI

Est-ce seulement la nostalgie qui a le vent en poupe ?
Non, c'est aussi, et même surtout, la régression, idée cousine mais pas jumelle, beaucoup moins anodine.
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Nostalgie : Regret mélancolique d'une chose révolue ou de ce que l'on n'a pas connu.
Régression : Retour à un stade antérieur de développement.
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Sensation gênante d'un repli généralisé quant à ce second aspect, subitement valorisé.  

L'I-Phone et ses dizaines de milliers d'applications ludiques inventent le joujou (le doudou ?) pour des millions de grand enfants accros.
La "littérature crossover" (Twilight and co...), conçue pour les ados, est dévorée sans complexe par leurs aînés.
Les séries américaines télévisuelles progressent chaque jour un peu plus sur les écrans, en s'accaparant les cerveaux de téléspectateurs rendus dépendants de scénarii et de personnages parfois insignifiants. L'accoutumance est là pour éviter réflexion et se détendre les neuronnes.

iPhone_3G tellement_vrai
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  katerine goodbye_kitty Les_Experts_serie_aff Twilight_livre

Dans la bouche des politiques, les discours maternants ou paternalistes se multiplient comme autant de promesses.
Pendant ce temps, Philippe Katerine, 42 ans, pose avec papa et maman sur la pochette de son dernier disque et enquille des chansonnettes sur un mode enfantin, ce qui lui vaut presque un crédit avant-gardiste.
Dans les rues, des jeunes femmes pubères depuis longtemps se mettent à porter des vêtements Hello Kitty à l'origine destinés aux petites filles !

 

Rétrovolution !

"La chute du mur de Berlin a scellé la fin des grands récits collectifs comme le marxisme. Désormais, il n'existe plus d'idéologie ou de modèle politique qui nous projette collectivement vers l'avenir. Les gens se retrouvent isolés, privés de perspective ; ils se replient individuellement sur le passé et sur le sacré, pour tenter de retrouver du sens."
                                                                                     
Jean-Loup Amselle, anthropologue

A l'origine de ces replis tous azimuts ? La peur engendrée par un sentiment d'insécurité généralisée.
Insécurité géopolitique, bien sûr, depuis l'éclatement des blocs de la guerre froide, que la déflagration du 11 septembre a fini de disperser  -les cartes de la diplomatie se sont brouillées, le monde est moins prévisible que par le passé et plus inquiétant.
Insécurité économique, aussi, d'autant plus vive que la crise des subprimes et le krach de 2008 ont souligné la quasi-impuissance des pouvoirs politiques face à la machine financière et boursière.
Insécurité sociale, encore, nourrie par une précarisation rampante et le tricotage des systèmes de protection.
Insécurité environnementale, enfin, puisque nous savons désormais tous que les ressources naturelles s'épuisent, que les déchets s'accumulent, que le protocole de Kyoto reste lettre morte. Et que la sécurité nucléaire, qu'on nous disait sans faille, est pour le moins incertaine...

"Le traitement de l'actualité à la télévision ne fait qu'aggraver l'inquiétude. Nous sommes gouvernés par la peur, le storytelling, les faits divers et l'émotion."  Jean-Loup Amselle

Or, quand on a peur, on se fige. On rentre sa tête dans les épaules. Un corps social réagit comme un corps humain : la société française se rétracte... La régression, qu'elle se vive en plongeant dans un roman pour ado, un stage de chamanisme ou un plat de quinoa, aurait donc au moins le mérite de rassurer.
D'après le philosophe Bernard Stiegler, elle puiserait ses racines dans les entrailles même de notre système économique. 1910, outre-Atlantique, époque du taylorisme triomphant et d'un fordisme naissant, travail à la chaîne.

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taylorism taylorisme taylorisme

"A cette époque, le capitalisme productiviste traditionnel s 'est transformé en un capitalisme de consommation, fondé sur une innovation permanente. Pour contrer la surproduction, il a fallu créer un flux constant de consommation, qu'un nouveau produit chasse l'autre en permanence." Bernard Stiegler, philosophe

Notre quotidien, notre rapport aux objets, s'en ai trouvé chamboulé. Un homme en a été le moteur : Edward Bernays. 


"Il a expliqué aux industriels que, pour séduire les foules, il ne fallait pas s'adresser à la conscience des gens mais à leur inconscient. Donc à leurs désirs. En 1929, alors que l'économie s'effondrait, sa stratégie a permis à un grand cigarettier de doubler son marché. Comment ? En faisant fumer les femmes américaines. Comment s'y est-il pris ? En ciblant leur inconscient, leurs désirs, pour leur faire croire que la cigarette était un symbole de libération."
                                                                                                                   
Bernard Stiegler

cigarette_medicale_5 Edward_Bernays stars_cigarettes_3

Mais la mécanique de Bernays a fini par se pervertir : trop sollicité, le désir s'est asséché, pour se réduire à son expression la plus primaire, la pulsion. Autant le désir n'a rien de régressif, autant la pulsion l'est totalement. (...)
Prêts à nous damner pour le dernier joujou technologique à la mode (aussitôt sorti, aussitôt obsolète) et à arborer sans honte des marques pour enfants, nous serions les victimes d'un système qui suscite et exploite nos pulsions jusqu'à plus soif...

"Il n'y a pas que les objets qui deviennent jetables, il y a aussi les gens ! A force de valoriser la 'culture jeune', on est en train de gommer les frontières entre les générations, ce qui peut avoir des implications majeures." Bernard Stiegler

En France, 43% des achats sont impulsés par les enfants. Leviers essentiels de la consommation, ils sont devenus les cibles privilégiées d'un marketing qui s'aligne sur leurs codes et incite les parents à en faire autant. De quoi boucler la boucle.

Jusqu'où régresserons-nous ? Jusqu'à une néobarbarie qui nous laisserait céder sans scrupules à nos pulsions ? Ou jusqu'à une dictature qui nous permettrait d'abdiquer nos responsabilités pour nous placer sous une autorité, politique ou religieuse, ultramaternante ?

"Nous sommes à une charnière, tout près, en effet, de la tentation dictatoriale. Il faut urgemment inventer un nouveau modèle, développer un nouveau savoir-vivre où l'industrie ne serait plus intoxicante et la consommation, plus aliénante. Cela nécessitera du courage, des sacrifices, restructurer les rapports intergénérationnels, développer un autre modèle éducatif, cesser le discours du 'je veux tout tout de suite...' Par nature, nous avons une tendance régressive, mais aujourd'hui nous atteignons la limite. Il est temps de le dire. Les hommes politiques, les artistes, les intellectuels, les journalistes ont une énorme responsabilité."  Bernard Stiegler

 Sous des airs inoffensifs, la régression serait donc un poison. A nous de choisir : l'avaler ou la recracher ; le choix pourrait se révéler historique.

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D'APRES LE TEXTE DE VALERIE LEHOUX

 

Commentaires
N
eT bEN mES cADETS...!
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