LA LOIRE A VELO, épisode 5 (18)

Il y a fort fort longtemps, Jénorme avait pris son vélo pour rejoindre le Point Zéro de l'itinéraire cyclotouriste "La Loire à vélo" afin de rouler, rouler, rouler... jusqu'à, jusqu'à, jusqu'à...
Quand soudain, ne voilà-t-il pas...

Oui, les jambes étaient lourdes ! Ou plutôt les mollets... Non... les jambes... ouais, ouais, ouais... Les jambes !
Les muscles continuaient de chauffer, la tête voulait les accompagner. Mais les jambes avaient acquéri une autonomie ras-le-bolienne, qui n'avait rien à voir avec le poète de presque-du-même-nom, né à Charleville-Mézières en octobre 1854.
Certes, le temps avait passé et je me trouvais maintenant à 60 km de la ligne de départ qui était, rappelons-le, Le Point 0 de La Loire vélo, face au Bec d'Allier, à hauteur du petit village berrichon de Cuffy. 

Soixante kilomètres, c'est beaucoup en VTT sur une piste cyclable, me disais-je afin de me rassurer.
D'ailleurs, si nous rapprochons cette distance parcourue d'autres calculs métriques, on peut remarquer que cela était comparable...
  - à monter 185 fois la Tour Eiffel !
  - escalader 12 fois le Mont Blanc !
  - faire 34 aller-retour de la Tour Burj Khalifa !
  - réaliser 6 fois et demi l'ascension de l'Everest !

Mais n'oublions surtout pas que c 'est également la distance qui sépare...

                     la Rue Rompe-cul à Sault (84)...
       

...du petit village de Cucuron (84)            

Qu'est-ce que j'raconte lààààà ?!
BREF !
Il fallait garder la pêche et pour se mettre en train, je n'hésitais pas à chanter dans ma tête, enfouie par l'effort, quelques morceaux dynamiques de musique donnant envie de poursuivre l'itinéraire...

Bordel !
Accompagné par cette musique de grands chemins, je me posais des tas de pleines questions de motivation extrême.
Est-ce que Laurent Fignon a craqué lors de l'ascension de l'Alpe d'Huez le 16 juillet 1984 ? Est-ce que Laurent Jalabert a arrêté le cyclisme après sa terrible chute à Armentières en 1994 ? Est-ce que Luc Leblanc a dit "Merde, j'ai les jambes lourdes, j'arrête !" à l'arrivée aux Arcs en 1996 ? Et Tom Simpson dans tout ça ? Et Armstrong ? Non, pas Armstrong !!!!
Putain, je ne me suis pas dopé, moi merde ?! Non, j'ai juste bu quelques verres de Pouilly-Fumé ! C'est pas du dopage de boire un, ou deux, ou trois verres de vin en faisant du vélo ?! Hein ? Hein ? Hein ?

Une pose s'impause...

ou l'inverse !

AFIN DE RESPECTER LES INTERROGATIONS
DE JéNORME
SUR LE POURQUOI QU'IL A LES JAMBES LOURDES,
LAISSONS-LE SE RECUEILLIR
DANS UN PETIT ENDROIT DE NATURE...

Maintenant,
si vous le voulez bien,
en toute quiétude, 
revenons à nos Michèle Mouton...

  

J'ignorais complètement l'emplacement géographique exact du lieu où je me trouvais quelque part entre Pouilly-Fumé-sur-Loire et Sancerre. Mais le simple fait de voir un maigre cours d'eau me faisait oublier l'idée de ne pas voir la Loire.
Ooooh qu'elle me manquait cette Loire ! Aaaah... J'en ai vécu des séparations, mais là, c'était trop ! Et trop souvent !!!!

Oui, je sais ce que va dire l'office du tourisme local :
OFFICE DU TOURISME : "-Aaaaaaaah maaaaaaiiisss, vous voyez pas assez la Loire, vous voyez pas assez la Loire et gnagnagni nanana !!!!
Mais, Monsieur, je vous rappelle que c'est un fleuve sauvage et qu'il fait bien c'qu'il veut !"

Mais bon, eh oh, y'a des limites à la sauvagerie !!!! Hein ? La Loire, elle, des fois, elle a ps envie de voir des cyclistes, des gens qui ont envie de la voir ? Hein ? Hein ? "On est tous un peu sauvage", comme disait Philippe Lavil, mais bon quand même !!!

Je reprenais la route. Un peu plus loin, je traversais une inquiétante forêt de tournesols. Habituellement, les gens bien pensants ont l'habitude de dire "Champs de tournesols", mais là c'était vraiment une forêt !
Très hautes tiges ressemblant à des troncs de chênes maigrelets centenaires, ils faisaient presque oublier leur étymologie italienne. Girasole, "qui tourne avec le soleil"... Leurs capitules entourés d'involucres à bactrées ovales semblaient me regarder fixement, étrangement, menaçamment...

...non sans rappeler ces vaisseaux extra-terrestres de...

Photo : La Guerre des Mondes, 1953

ou encore la magnifique carte postale
que Céline et W. m'avaient envoyée de Lectoure...

Mais, lààààà, au-dessus des tournesols, tournés vers la vigne, je vois...

SANCERRE

Alors, bon, tout le monde connait Sancerre ! Hein ! Hein ?! Hein ??? Bien sûr, même Gérard Depardieu et Coluche en parlent dans l'excellent film de Claude Zidi, "Inspecteur la bavure" (1981)
Mais oui ! On ne peut pas se rendre à Sancerre sans aller visiter une cave ou s'asseoir dans un des nombreux bistrots du village. C'est pas possible, allons ! Soyons raisonnables et cohérents un peu des fois dans la vie ! Il y a des priorités merde ! DONC Sancerre !

Maaaaaaaaiiiisss, non seulement La Loire à vélo ne suivait pas toujours la Loire, mais en plus, l'itinéraire ne passait pas exactement par Sancerre.
Non, non, non !!!
Comme tu peux le voir sur la photo ci-dessus, ce village à forte densité vigneronne se trouvait sur une butte, certes charmante, mais pentue !
Pour rejoindre les caves et les bistrots, il fallait donc se taper une sympathique montée en plein soleil avec des odeurs de goudron bien chaud, entrant dans les nasots qui, déjà, peinaient à trouver ne serait-ce qu'un simple mili-militre d'air dans cette belle région qu'est le Berry.

En même temps, positivons MERDE !!!!, force est de constaster que l'on avait une magnifique vue sur le petit bled qui jouxtait de bas la cité vigneronne. Ce petit bled en question s'appellait...

SAINT-SATUR

Volée de toits orangés dans la verdure de prime abord.
Passons sur le fait qu'il y ait une église, des ronds-points, un sillo à grains et une mairie pour nous concentrer sur le nom même de cette charmante bourgade... Saint-Satur...
Qui pouvait-être ce saint ? Que faisait-il ? Pourquoi un tel nom ?
Plusieurs hypothèses me vin-rent à l'esprit :
1) Peut être était-ce un saint qui aimait tellement le vin qu'il était prêt à gravir ds montagnes et des collines, mais face à celle-ci, il a dit : "Oh merde, c'est trop haut ! Je sature !"
2) Peut être était-ce un saint qui se rendait tous les jours sur la butte sancerroise pour y boire beaucoup trop de vin au point de ne plus en pouvoir redescendre de chaste manière. Alors, il s'allongeait dans un champs et se laisser rouler jusqu'en bas. Les habitants le voyaient lors descendre en criant et en riant aux éclats en disant : "Ohla, il a encore bu du Sancerre jusqu'à saturation."
D'où le nom Saint Satur de la ville pour rendre hommage à cette personnalité troublante. En même temps, boire ou conduire, lui préférait rouler...avec modération.

De mon côté, j'aurais bien aimé me laisser rouler jusqu'en haut de cette foutue colline, mais dans les sens de la hauteur, ce n'était pas évident. J'ai donc continué à grimper, pédaler, transpirer sur cette route interminable et sans horizon. Je t'avoue franchement que j'ai failli craquer. J'ai failli tout laisser tomber. J'étais sur le point d'appeler une amie pour qu'elle vienne me chercher.
Mais je me suis battu ! J'ai persévéré ! Je n'ai pas baissé les bras, ni les jambes ! Je me suis accroché ! J'ai repensé à tous ces kilomètres déjà parcourus ; cela aurait été trop con de craquer  -,avec modération,-  si près du but... même si Sancerre n'était absolument pas la destination finale de ce périple.

ET J'AI VIN-CU !!!!
OUI, J'AI VAINCU, cher lecteur !!!!

Quelle belle leçon n'est-ce pas sur la vie, le sport, le dépassement de soi et l'alcool.
Bon, parlons un peu de Sancerre -, avec modération bien entendu,-  avant d'aller plus loin...

 SANCERRE...toujours !

    UN PEU D'HISTOIRE
"Dès l'époque carolingienne un petit village à flanc de coteau, groupé autour de l'église Saint-Romble, fut nommé par déformation populaire du même mot, Saint-Cère, qui donnera Sancerre.
Étienne de Champagne, 1er Comte de Sancerre, au XIIème siècle construisit un château fort au point culminant de la colline, instinctivement une ville haute s'établissait recherchant sécurité et protection. Il ne tarda pas à fortifier la ville d'une épaisse muraille, qui joua un rôle prépondérant au Moyen Âge. Sancerre l'imprenable, surveillant la Loire.
Guerre de Cent ans, guerres de religions, siège mémorable de sept mois en 1573 (13 janvier-19 août) de la cité devenue huguenote, soulèvement royaliste dit « La petite Vendée Sancerrois » pendant la Révolution, furent les événements les plus marquants de son histoire du XIIè siècle à la fin du XVIIIè siècle.
A partir de cette période, Sancerre n'était plus qu'une cité humiliée qui perdit son importance stratégique et dût se soumettre aux lois de l’État malgré son caractère frondeur.
En ce début de 3ème millénaire Sancerre demeure une cité où il fait bon vivre et qui se découvre toujours avec beaucoup de plaisirs à travers ses petites rues moyenâgeuses, étroites et pittoresques, aux noms qui chantent.
Capitale de deux produits gastronomiques connus et reconnus dans le monde entier (le vin de Sancerre et le Crottin de Chavignol), Sancerre jouit également d'un cadre unique qui en fait l'un des plus beau paysage viticole au monde."  ROUTE JACQUES COEUR

"Et le vin dans tout ça ?!", me diras-tu.
"Eh bien voici !", te répondrais-je.
Avec modération toujours, bien évidemment !

     SANCERRE, LE VIN

"De nombreuses légendes laissent supposer que depuis la plus lointaine Antiquité, la vigne a toujours été présente à Sancerre.
Dès 582, Grégoire de Tours indique l’existence du vignoble dans ses écrits.
Au XIIème siècle, le vignoble connaît un essor considérable grâce aux moines Augustins de Saint Satur et aux comtes de Sancerre. Sancerre produisait alors du vin rouge réputé, issu principalement du pinot noir et exporté par la Loire. Pour cette raison, il sera souvent mentionné dans les écrits royaux.
Le Duc Jean de Berry l’estime le meilleur vin du Royaume...
Planté essentiellement en pinot noir, il fut détruit par le phylloxera à la fin du XIXème siècle. Le sauvignon particulièrement bien adapté au climat, fut replanté prenant la place du pinot noir. Le terroir et les hommes en feront un vin de qualité qui sera reconnu dès le deuxième décret AOC en 1936. En 1959, les vins rouges et rosés, issus du pinot noir, sont à leur tour classés en AOC."  TOURISME SANCERRE

Oui, j'étais bien à la terrasse de ce petit bistrot tenu par une Anglaise d'une cinquantaine d'année occupée à surfer sur internet. Le vin rouge qu'elle m'avait servi était très bon. Fruité, charpenté, avec du retour dans l'élan, mais il faisait peut à peu évanouir l'espoir que j'avais de rejoindre le pont canal de Briare. Oui, il était sûr à présent qu'il ne fallait pas que je m'attarde trop longtemps dans cette contrée.
Je voyais au loin la petite route qui serpentait dans cette vallée qui prenait fin au village de Chavignol, célèbre pour son crottin. Je me souvenais de ce moment que j'y avais passé, il y a quelques années, avec Mary (que je salue au passage).

CHAVIGNOL
Un autre jour, une autre année, une autre vie...

                    Son panneau

Sa boulangerie                      

Et une auberge sympathique, traditionnelle, reculée, familiale.
Un peu comme si tu étais chez les gens,
dans leur cuisine.

La Bonne Auberge

Un petit poste passait un album-concert de Thomas Fersen et les premières odeurs de ce que nous allions manger venaient nous effleurer le nez pour directement venir faire grommeler l 'estomac. Un pâté de pomme de terre avec quelques lardons éparses, saupoudrés de crottin.

LE CROTTIN,
son histoire, sa vie, ses échecs, son oeuvre

"En chiffres, le crottin de Chavignol occupe une place économique d 'importance : production annuelle de 1560 tonnes, trois laiteries, 140 producteurs fermiers, 172 producteurs de lait et 6 affineurs contribuent au succès de la petite merveille. (...) Les chèvres sont élevées par les paysans de Sancerre depuis le XVIème siècle et le fromage produit à partir de leur lait semble porter le nom d 'une petite lampe à huile en terre cuite : le crottin. Toujours fabriqué de façon traditionnelle : caillage de 24 à 48 heures, moulage manuel à la louche et en faisselle, salage, séchage et affinage d 'au moins 10 jours, le crottin de Chavignol est considéré comme l 'un des plus délicieux fromages français. Dans le village, une famille, les Dubois-Boulay, veille depuis quatre générations à entretenir ce patrimoine et à maintenir la tradition locale. (...) Situé au coeur du village, leur fromagerie propose aujourd hui bien plus que des plaisirs gustatifs. Au-dessus de la boutique, ces hommes passionnés ont créé un petit musée à la gloire du crottin. Tout ce qu 'il faut savoir, de la méthode de fabrication ancestrale aux spécificités du petit fromage cylindrique qui, pour bénéficier de l 'AOC (depuis 1976), doit avoir au minimum 10 jours et peser 60 grammes."

C'était le soir, en octobre. La nuit était tombée. Il faisait froid dehors et il commençait à faire très chaud en cet intérieur reculé...

ALLLLLEEEEZZZZZ !

Je reprends la route. Toute en descente ! Les vignes face à moi, derrière moi, à côté de moi !
                                                           TOUT AUTOUR !!!

    

Un passage par le port de Saint-Satur, puis je longeais le canal latéral à la Loire pour passer non loin de...

 Mais quelle région bordel ?! Tu peux pas faire un pas sans tomber sur un panneau ou une ville ou un lieu-dit qui te rappelle la bouffe ?!
Sancerre, crottin de Chavignol, Rognon !!!
Comment veux-tu continuer à faire du vélo ? Comment veux-tu aller plus loin ? Et pourquoi ? Tout était là pour me dire :
TOUT : "- Jénorme, arrrrrrrêêêêêêêêêêtttteeeee !!!! C'est bientôt l'heure de dîner... Hein... Un bon dîner... Hein... Qu'est-ce que tu t'emmerdes ?! Ça t'apporte quoi là de faire du vélo ?! Qu'est-ce que tu cherches à te prouver mec ?! T'as vu ton allure ? Non, mais ouah putain l'autre, où qu'il en est ?!"

NON !!!!

Il était hors de question d'écouter les sirènes de la mésésuétude...
Cherche pas ce mot dans Wikipédia, c'est un mot que je viens d'inventer pour tenter de donner un terme  à l'esprit vindicatif que l'on peut avoir en luttant contre toutes les médisances ambiantes et le cynisme contemporain pour tenter d'atteindre son but tant bien que mal. 
Mésésuétude... Je pensais au jardin des Hespérides... Accompagnée d'une envie d'écouter du Roy Orbison.
Alors, oui, je continuais mon maigre combat, encore. Je me battais. Je chantais de plus bel, de plus en plus fort. Le corps désynchronisé me donnait l'impression d'un fracas désordonné qui, tout de même, parvenait à avancer. Dérythmé certes, mais présent. Une sorte de chaos d'où l'on pourrait presque percevoir des sons de gamelles en ferraille et en plein vent ; un peu comme ces batteries de cuisine que certains mettent dans leur cerisier pour faire fuir les merles.  

Tiens, un bien bel étang buccolique à souhait se pointait sur ce morceau de chemin. Un endroit idéal pour faire une pause...

 ...avant de rejoindre un chemin de terre me proposant, là, au loin, une autre vision...

 Fini Sancerre ! Fini Pouilly ! Fini Marseilles-les-Aubigny, La Charité-sur-Loire... J'arrivais à Belleville-sur-Loire car, oui, je retrouvais à ce moment précis le fleuve sauvage, domestiqué pour apporté quelques énergies électriques aux foyers bien chauffés de télévision et de chaleur artificielle...

BELLEVILLE-SUR-LOIRE

C'est ici que je terminais mon escapade "La loire à vélo". J'avais parcouru tout le département du Cher. Il ne me restait plus qu'à revenir en voiture sur Nevers avec une multitude d'images et de rencontres dans la tête. Légèrement embrumé par l'effort et les quelques verres de bon vin bus durant le périple, je repensais au court-métrage de Michael Dudock de Wit...

Je quitte la Loire... Elle s'en fout... Elle a bien raison...
Je vais voir ailleurs !