LE PARC NATUREL DU SEIGNEUR DE BERTIZ (Espagne)
Dans notre épisode précédent, Jénorme tentait d'expliquer au monde entier du Sud-Ouest qu'il n'y avait pas que la montagne dans la vie.
C'est finalement après une démonstration de 2h15 qu'il décidait de se rendre dans une forêt pour le prouver.
Mais quelle forêt allait-il choisir ? Et comment s'y rendre ? Et pourquoi faire ? Et n'était-ce pas de la folie ? Et toi, comment ça va ?
Quand soudain, ne voilà-t-il pas...
Souviens-toi !
Dans le précédent épisode, je t'avais énuméré les différentes choses que tu pouvais faire si tu ne voulais pas aller en montagne.
En 1), nous avions vu que tu pouvais aller chercher ton courrier dans ta boite aux lettres.
En 2), tu avais pu découvrir qu'il était possible de se rendre à des concerts, comme ceux de Puppetmastaz ou d'Ibrahim Maalouf ; et ce, peut être, après avoir lu la revue Les Inrockuptibles.
Et ne voici pas que maintenant, le plus naturellement du monde, se pointe le point n°3 !
J'aurais pu aller me perdre dans la forêt des Landes, mais c'était trop classique, trop facile, trop évident, trop courant, trop classique... ah merde, je l'ai déjà dit !
Pourquoi ne pas aller en Espagne afin de dépasser les clichés comme quoi dans ce pays il n'y aurait que des villages fantômes, la crise, des plages polluées, des tapas, de la sangria, des churros et des joueurs de tennis dopés.
Toi : "- NON !"
Moi : " - Mais si, mais si ! Fais pas chier !"
Tu veux des chiffres ? Tu aimes les chiffres ? C'est ta passion ?
Eh bien en voici des chiffres : 2040 hectares de végétation exubérante ! 125 espèces botaniques arborées et arbustives ! La présence d'oiseaux nidificateurs (46 espèces) et sédentaires (oiseau rampant bleu, mésange) !
Alors, t'as qu'à voir !
Je prends la bagnole qui, d'elle-même, prend la direction de Dancharia... Dantxaria... Dantxarinea... Danche... où, rappelons-le, il était toujours de bon ton de marquer un petit arrêt pour boire un Martini...
Photo : Le guide du Danchard, à paraître bientôt prochainement
Atteints maintenant Mugaire qui se prononce comme le Mouguerre, jouxtant Bayonne.
Bordel : ils ne pouvaient trouver un autre nom !? C'est incroyable : tu passes la frontière franco-espagnol et tu retrouves les mêmes noms de villages d'un côté comme de l'autre de la chaîne montagneuse basque !
Continues... Continues un peu... Là, tu peux te perdre en loupant la route que tu devais prendre sur ta droite... Continues alors... Fais demi-tour un peu plus loin... Et, à un moment donné, débrouilles-toi pour trouver le petit village de Oieregi et son petit pont de pierre qui enjambe la rivière Baztan.
A ce moment là, et à ce moment seulement, tu peux sortir de ta voiture car, déjà, là, tu peux voir non loin du parking ce panneau t'indiquant que tu es arrivé au pied du domaine de Bertiz. Eeeh oui !
Ici, commence un parc naturel incroyable ! Enfin, d'après ce qui est dit dans les dépliants touristiques, les magazines et certains sites internet...
A l'heure opportune
Et quel est ce but ultime, me diras-tu. Eh bien, ah, ah, ah, ah, ah !!!!!
La boucle que nous vous proposons permet un circuit original autour du parc Senorio de Bertiz, un domaine de 2040 hectares, farouchement protégé depuis le XIXème siècle, selon la volonté de Pedro Ciga, seigneur de Bertiz..."
DONC oui alors, qui était Pedro Ciga, Seigneur de Bertiz ? Un ancien Roi ? Un mafieux ? Un ancien joueur de foot du Real Madrid ?
Oh que non !
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Putain, mais qu'est-ce qu'on en a à foutre de tout ce bordel ????
Finalement, en 1898, la propriété fut achetée par M. Pedro Ciga Mayo, dernier propriétaire particulier. A sa mort, en 1949, il légua la propriété par testament holographe à la Navarre, et en son nom à la Diputacion Foral, à condition de la conserver sans modifier ses caractéristiques. Ainsi, en 1984, le Senorio fut déclaré Parc Naturel.
Ceci étant dit, que peut-on voir dans cette immense propriété ?
Un réseau de sentiers vous permettra d'admirer plus de 120 essences différentes d'arbres et d'arbustes. Conçu par un jardinier français en 1847, Pedro Ciga l'agrandit ultérieurement en mélangeant des espèces autochtones à des essences exotiques. Parmi les premières, les hêtres sont les plus abondants et parmi les plus curieuses, citons le cyprès chauve, le cèdre du Liban, le gingko de Chine, l'araucaria de la Tierra de Fuego, le séquoia de Californie, le camélia, les azalées et les bambous. La beauté unique de ce paradis est rehaussée par des joyaux Art Nouveau comme les étangs, les ponts, les gloriettes, un belvédère Belle Époque et une chapelle joyaux.
Endroit par lequel nous ne passerons absolument pas !
Ben oui ! Je me suis planté de chemin à un moment donné et j'ai atterri complètement autre part !
Le parc naturel est sillonné par un bel enchevêtrement de chemins et de sentiers sinueux bordés par des grands arbres de tout type, de haies, d'arbustes et de massifs de fleurs. Il existe une importante représentation d'espèces autochtones ainsi que de très nombreuses plantes exotiques : liquidambars, ifs, hibas, cyprès des marais, cephalotaxus, ginkgos... Oui, c'est vrai, dit comme ça, ces plantes ont des noms de groupes musicaux et nous avons presque l'impression de lire l'affiche du dernier festival Rock en Seine de Saint-Cloud. Mais, en ce lieu, il y a aussi séquoïas, cèdres, citronniers, camélias, azalées, hortensias, glycines, bambous,...
On distingue une prédominance des hêtres. Ces arbres sont si efficaces dans la capture de la lumière que le starte herbacé et arbustif est peu abondant (fougères, bruyères, airelles, euphorbes, saxifrages, véronique,s graminées, ronces, genêts d'Espagne,...).
Parmi les espèces arborescentes, on peut observer des ifs, houx et bouleaux dispersés.
Plusieurs chênes se mêlent aux hêtres : le chêne commun, le chêne tauzin et le chêne sessile. Puis, une forêt moins dense permettant l'entrée de la lumière qui favorise l'apparition d'autres arbres tels que le noisetier ou le houx et le développement du stratus arbustif : fougères, joncs, lianes, bruyères, épines, airelles, fragons épineux, asphodèles et nombreuses herbes.
Le châtaigner est très abondant et se mêle aux autres arbres du bois sur toute la superficie du Parc Naturel.
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Notre itinéraire empruntera des sentiers de traverse et des cheminements de crête avant de rejoindre le palais d'Aizkolegi, construit au milieu de ce paradis, au sommet d'une butte de 841 mètres d'altitude, point le plus élevé du domaine.
Après 2H30 de marche, nous traverserons une belle forêt de chênes têtards aux formes fantastiques...
Majestueux aux formes étranges ! On dirait une main géante, paume ouverte pour recueillir le peu de lumière qui filtre à travers les feuillages.
Et puis, dans le détail, lorsque l'on se pose un peu pour regarder tout cela de plus près, aux sons de la forêt, que ne voit-on pas...
Quelque chose de complètement surnaturel ! Le travail de la nature, des années, des décennies, et pour des siècles et des siècles, amen.
Regarde un peu...
Hein ? Oui, alors non !
Ce n'est pas seulement un arbre... Regarde un peu plus près...
Ne dirait-on pas... un visage, hein ? Hein ? Hein ?
Un visage qui crie ! Un visage qui meure ! Un peu comme "Le cri" de Munch...
Image : Figuration/ défiguration
Mais si, bien sûr ! Allez, c'est évident !
Continuons à errer dans cette majestueuse forêt, exposant ses arbres tel un musée ses oeuvres d'art... Tiens, d'ailleurs, j'ai posé des titres sur chacun, comme ça, tu ne pourras pas dire que tu n'étais pas prévenu...
LA FORET, UN MUSEE ?
La torche qui braille La niche qui fend
Capitaine Caverne au couscous Coiffure de Lynch après somnifère
Explosion du poumon Couple qui danse le salto
Allez, sortons d'ici et allons franchir cette dernière rude montée de l'Irubagoeta (563m, 5h), avant d'attaquer celle d'Inarmeaka (645m, 5h30) ; puis celle de Paretaza (795m, 6h)... qui m'amène ENFIN au but : le palais d'Aizkolegi !
Pendant toute cette randonnée, je n'ai pensé qu'à lui. De multiples interrogations se greffaient à mon esprit pour entraîner mes muscles fatigués jusqu'ici !
Un palais... Un palais... Immense forteresse moderne aux multiples balcons et fenêtres... Architecture fantasque et original...
Tel le Regaleira au Portugal
Photo : Wikipedia
Le Paignton Oldway mansion,
dans la campagne britannique
Photo : Wikipedia
Le palais de Ceausescu, en Roumanie
Photo : Fotoway
Certes, on a une belle vue sur la vallée du Baztan... et encore faut aimer regarder la forêt vierge à perte de vue...
Quant au palais, il est normalement inapprochable et en complète ruine...
LE PALAIS D'AIZKOLEGI
Pas un bar à mojito ! Pas un vendeur de Churros ! Pas un écriteau retraçant la vie de l'homme qui avait vécu ici et avait donné vie au parc que je venais de traverser depuis plus de 7 heures. Espagne, pays fantôme.
Dans le même temps, je me demandais si je me serais rendu en ce lieu si j'avais su que le palais était une ruine...
Aucun regret finalement après avoir passé ces quelques heures en pleine nature.
Avant de redescendre dans la vallée, une pensée me revenait alors en regardant une dernière fois l'état de délabrement de cet établissement autrefois doux et accueillant :
Le palais existait encore et le parc de Pedro Ciga accueillait plus de 200 000 personnes chaque année ; des gens venus pour être en contact avec uen nature préservée et éclectique.
De mon côté, je m'en retournais à la voiture. Chemin inverse. Route inverse. retour à la frontière franco-espagnole.
Re-passage à Danche... Dancharia... Dantxaria... Dantxarinea...
où, rappelons-le, il était toujours de bon ton de marquer un petit arrêt
pour boire un Martini...
Photo : Le guide du Danchard, à paraître bientôt prochainement
Et puis, avant de regagner une maison, quelque part, sur une montagne, un dernier passage dans la forêt de Cherchebruit...
Sur ce, à plus tard...