La gare de Canfranc, partie 2

Dans notre précédent épisode, Maître Arnaud et Jénorme avaient décidé de prendre la direction de Canfranc. Intrigante destination dont Maître Arnaud résumait l 'intéret en répétant inexplicablement les mots suivant : "Siensiensien sien !"...

La route était devenue plus claire, plus fluide. Les virages avaient pris fin.
Et c 'est au bout d 'une ligne droite descendante que nous vîmes le panneau...    

CANFRANC
 

Bien que le nom puisse de prime abord faire penser à ce composé organique bicyclique qu'est le camphre, force est de reconnaitre, pourtant, que Canfranc vient plutôt de Campus Franci, "le champs des étrangers".
Oui, un champs ! Oui, des étrangers ! Remettons tout cela en place et imagine, maintenant, une gare internationale abandonnée avec un bâtiment rétro de plus de 500 mètres de long où gravitèrent des milliers de voyageurs venus du monde entier et voilà : tu as l 'explication à ce nom de village perdu dans les montagnes aragonaises espagnoles.

Les herbes poussent aujourd'hui entre les rails et
la bâtisse ne semble jamais vouloir renaitre de ses cendres ;
sa façade recouverte d 'échaffaudages ayant pris la poussière
à force d 'attente de reconstruction !

Pour ce chemin de fer inauguré en 1928, il a fallu percer 31 tunnels,
mais la ligne de 93 km reliant Pau à Canfranc
ne fonctionna pratiquement jamais...

Seconde plus grande d'Europe après celle de Leipzig en Allemagne, la plate-forme des installations mesure 1200 mètres de long sur 170 mètres de large, parcourue par un faisceau de 27 km de voies ferrées ; soit une superficie couverte de
20 000 m2.

Comme beaucoup d'autres endroits laissés à l'abandon, la gare de Canfranc fut également le lieu de bien des légendes plus ou moins romanesques et de situations plus ou moins obscures.
On raconte notamment qu'un trésor de guerre nazi aurait transité en ces lieux, avant de rejoindre l 'Amérique du Sud pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Autre anecdote : le village de Canfranc fut incendié en 1944. Franco y fit une collecte nationale pour rouvrir la ligne... et ne reversa jamais la somme !

Le trafic ferroviaire s 'arrêta définitivement
en mars 1970 lors de l 'accident
d 'un train qui provoqua
l'effondrement du pont
de l 'Estanguet sans toutefois
faire de victime.

Aujourd 'hui, le bâtiment central qui accueillait les voyageurs est complètement parpainisé. Impossible d 'y entrer puisqu 'il est, de plus, surveillé en permanence par un vigile et son siensien... son chien.
Par contre, nous avons pu nous aventurer dans le hangar des anciens wagons, situé juste derrière.
Nous passons par une porte entrouverte et, là, devant nous, s 'ouvre un interminable quai, contre lequel stationnent des wagons colorés et endommagés.

Silencieux, poussiéreux, mais incroyablement prenant. A notre entrée, quelques pigeons agitent leurs ailes sous les toits de taule.
Une fois la crainte et l'émerveillement passés, je repense étrangement à une Brève de comptoir...

"Je portais un carton dans la rue et un mec m 'arrive en face avec un carton dans les bras, c 'est rare de croiser quelqu 'un avec un carton sur le même trottoir que toi quand tu portes toi aussi un carton. Enfin bref, je le vois qui arrive de là-bas avec son carton et moi j 'arrive dans ce sens là avec le mien. On commence à se regarder avec nos cartons, mais du coin de l 'oeil comme ça, avec juste un petit sourire, on n 'osait pas tellement se regarder franchement, on avait l 'air con tous les deux avec nos deux gros cartons. Je sais exactement ce que le mec pensait en venant vers moi. Je pensais exactement à la même chose que lui. On était tellement les deux mêmes avec nos deux cartons qu 'on aurait pu les laisser tomber sur le trottoir et partir boire un coup comme si on se connaissait depuis tout petits. Et finalement non ! On s 'est regardés en coin, comme ça, en se croisant, en souriant un peu. Lui est parti dans son coin et moi dans le mien. On s 'est fait un tout petit signe de la tête comme des routiers qui se croisent sur la route et ça s 'est fini comme ça... Mais la prochaine fois, je pose le carton !" 
                                                        Jean-Marie Gouriot, "Brèves de comptoir"

Pénétrons dans ce monde étrange afin de mieux comprendre ce qui a bien pu se passer en ces lieux...

LA GARE MONUMENTALE DE CANFRANC
   
A L'EPREUVE DES TEMPS

par Pascal Desmichel

"Symbole de tout un pays souhaitant afficher son dynamisme et sa modernité en s’ouvrant sur l’Europe, cette vaste station internationale a fait l’objet d’un projet architectural et urbanistique considérable pour ne pas dire démesuré au regard du trafic ferroviaire actuel. (...) La gare internationale de Canfranc, située en Aragon, dans la Province de Huesca, à la frontière franco-espagnole, est la deuxième plus grande gare d’Europe de par la taille de ses installations. Elle représente par dessus tout le rêve et les ambitions démesurées des hommes du chemin de fer. Aujourd’hui vouée à un trafic local, et seulement du côté espagnol, elle constitue probablement la plus grande friche ferroviaire du monde en même temps qu’un patrimoine hors du commun.
Perdue dans un paysage de haute montagne, la deuxième plus grande gare d’Europe représente un patrimoine exceptionnel pour de multiples raisons, tout particulièrement parce que le paysage ferroviaire qui se présente au visiteur est absolument unique. (...)

Les Espagnols voient très grand ; ils veulent une gare monumentale qui constitue une porte d’entrée de tout un pays. La gare de Canfranc doit représenter la grandeur, la modernité et l’ouverture sur l’Europe. L’architecture, les matériaux utilisés, les dimensions des emprises et des bâtiments ont donc aussi une fort part symbolique. (...)

A peine inaugurée, la ligne Pau-Saragosse, exploitée côté français par la Compagnie du Midi se révèle décevante. Les correspondances à Canfranc entre trains français et espagnols nécessitent de longues heures d'attente et les formalités douanières sont pointilleuses. Les correspondances pratiques à Pau, vers Bordeaux et la capitale sont absentes. Il faut une journée entière pour effectuer les 311 km séparant Pau de Saragosse. Le trafic marchandise est assez réduit, notamment en raison de la pauvreté économique des territoires traversés. La grande crise de 1929 n'arrange rien.En 1931, un incendie occasionne d'importants dégâts à la gare de Canfranc.

    

La ligne connaît une période d'intense activité pendant la seconde guerre mondiale. A l'écart des grands passages transfrontaliers, elle offre la relative discrétion d'une ligne de montagne située en zone libre. La douane internationale de Canfranc voit son trafic croître grâce aux échanges commerciaux entre trois pays restés "neutres" : la Suisse, le Portugal et l'Espagne. Elle est aussi le témoin du soutien de l'Espagne à la machine de guerre allemande. Dès la chute de Paris en juin 1940, de nombreux convois chargés de minerai de fer de Teruel et de wolfram (minerai de tungstène) de Galice sont expédiés en Allemagne (alors que le commerce de ce minerai stratégique est interdit par les alliés). En échange le régime de Franco reçoit de l'or et c'est par Canfranc qu'une bonne partie de ce métal précieux transite. C’est le hasard qui a prouvé l’hypothèse que historiens et spécialistes avançaient. En novembre 2000, en se promenant dans les emprises de la gare, Monsieur Diaz, conducteur de l'autocar TER Oloron-Canfranc, a trouvé des papiers éparpillés sur les voies sur lesquels il était mentionné à plusieurs reprises le mot "lingotes de oro" (lingots d'or). Il s’agissait des documents prouvant le passage de l'or nazi par la gare internationale, attestant de l'arrivée de 45 convois du 16 juillet 1942 au 27 décembre 1943, en provenance de la Suisse, en direction du Portugal et de l’Espagne.

   

Mais c’est aussi par ce transpyrénéen que des centaines de juifs, des résistants et des aviateurs alliés s'évadent de l'Europe occupée. Les soldats allemands profitent de la double nationalité de la gare de Canfranc pour s'y installer en novembre 1942 après avoir mis fin à la zone libre. (...)

Le caractère unique, exceptionnel du site de la gare de Canfranc tient principalement à deux facteurs. Il s’agit d’une part d’une emprise aux dimensions d’une taille quasi inégalée : c’est la plus grande infrastructure ferroviaire d’Espagne et la deuxième plus grande gare d’Europe après celle de Leipzig. Et c’est bien là aussi que réside le second facteur qui rend la gare de Canfranc unique : elle n’est pas située dans une grande métropole européenne mais au cœur d’une région de haute montagne, isolée et à peine habitée, économiquement très pauvre, à plus de 160 kilomètres de Saragosse, seul pôle urbain majeur. Canfranc est donc une grande gare monumentale ayant pour décor les sommets des sierras culminant à près de 2500 mètres d’altitude. Quelle autre gare au monde associe de pareilles caractéristiques ?

Il faut aussi offrir au voyageur des éléments de confort et des services (restauration, distraction, hôtellerie) pour des attentes parfois très longues ; c’est pourquoi le bâtiment abrite alors un buffet, des salles d'attentes, un bureau de change, une succursale de la banque d’Espagne, les postes françaises et espagnoles ainsi qu'un luxueux hôtel international et un casino. (...)" 
    PASCAL DESMICHEL, La gare monumentale de Canfranc à l 'épreuve du temps.

Alors, bon, lorsque l 'on voit ces wagons abandonnés, on se dit : "Putain la vache, il doit y avoir des trucs chelous là-d'dans là ouais chelous ! Eh reloud quoi ! T 'sais !"
Eh bien, pas tant que ça !
Non, en fait, l 'intérieur de ces véhicules est recouvert de papiers de bonbons et de gâteaux, accompagnés de quelques bouteilles de boissons gazeuses vides. Cela ressemble un peu à une vieille cours de récréation des années 1980 qui n'aurait pas été nettoyée depuis trente ans. Et en hypothésant cela, je ne tombe peut être pas très loin puisque, alors que nous nous préparions à sortir de ce lieu positivement funeste, ô surprise incroyablement surprenante ! Que ne vit-on pas là, sous nos yeux ébahis soudainement...

VICK LE WIKING, bordel !!!
Et personne d 'autre !

Ohlala, putain, ça me rappelle les papillons de ma jeunesse ça...
Allez, on chante bordel !!!!

A moins que cela ne soit un hommage à Monsieur Manatane...

Voilà, bon, allez... On sort de là mantenant !
Silencieux, soumis au doute le plus profond, interrogatifs, nous marquons une pause dans un petit bar faisant face à l'ancienne gare. Maître Arnaud a laissé de côté ses "Siensien sien !" pour ne conserver que les gestes de mains.
Nous avions presque envie de dire quelques choses intelligentes, comme...
"Avec cette gare de Canfranc, nous avons là un des symboles de notre société actuelle : le gachis ! Ou peut être mieux, cette idée que l'homme moderne ne finit plus ce qu'il commence, enfermé qu'il est dans une spirale dynamique faite de rendements automatiques et de renonciations en cas d'échec pour se porter ailleurs. Oui, la gare de Canfranc nous révèle tout le côté zappinesque dans lequel l'être humain avide de progrès et de profit s'est enfermé."
Ou un truc dans le genre ! Mais non !

Nous reprenons la route pour la France en empruntant le tunnel du Somport.
C 'est vers 20 heures que j 'arrive finalement à Villefranque où le soleil s'en va se coucher entre une antenne télé et le lampadaire du village basque...

FIN DE JOURNEE

Comments

[train]

Bonjour,

Il faut préserver le plus possible le patrimoine férrovière, car le train à apporté tant de progrés,mais surtout une grande culture de l'art du voyage.

[maitre arno]

.....quelle fabuleuse émotion là (au delà même de toute la balade bien sur Siensien !), mais vic le viking, je n'avais pas fait le rapprochement, ni sur place ni après, mais la vidéo m'a procuré une bouffée délirante, c'était en effet un des dessins animés préférés de mon enfance ! alors là MERCI !

[nICK cANON]

eT bEN mES cADETS...!