Pause musicale : Feu! Chatterton (64)

Le mois de novembre devait être le mois des concerts. Pas de voyage prévu. La météo d'automne changeante et les jours raccourcissant, il n'y avait pas trop l'envie d'aller vadrouiller ici et là. De plus, pour une fois dans le pays-basque-Landes qui n'a pas la réputation d'être la région la plus dynamique au niveau musical, il y avait un peu de choix.
Quand soudain, ne voilà-t-il pas...

Oui, il y avait du choix en concert dans les Landes et le Pays Basque ! Je passe sur les Lou Douillon et son brouillard vocal pour aller sur les The Stranglers dont nous avons déjà parlé ici, pas plus tard que la semaine dernière (Pause musicale : The Stranglers), en concert à Seignosse.
Et puis... et puis... et puis......
Et puis il y a eu le 11 novembre 2015, jour de célébration de l'Armistice de la Première Guerre mondiale, marquant la fin de combats sanglants qui auront fait plus de 9 millions de morts et 8 millions d'invalides. Sur la fin du conflit, la guerre des tranchées et les corps à corps violents ont laissé place aux nouvelles armes (aviation, chimiques, blindés) et aux nouvelles tactiques.
Et puis... et puis... il y a eu le vendredi 13 novembre 2015. Jour de chance pour les superstitieux qui aiment passer sous une échelle avec du pain à l'envers en compagnie d'un chat noir qui vient de casser un miroir après avoir ouvert un parapluie dans une pièce verte fermée. Jour également de sortie d'un énième film de Claude Lelouch. Cette année, ce vendredi 13 novembre 2015 était également la Journée de la gentillesse ; ce à quoi je ne pouvais pas m'empêcher de demander : "Et la Journée de la plume dans le cul, c'est quand ?". Vendredi 13 novembre 2015, c'est également ce jour là que les médecins libéraux avaient décidé de faire grève sous le nom de "Journée santé morte" contre le projet de loi de Marisol Tourraine, alias M.S.T. Et puis, il y avait aussi cette prédiction étrange de l'agence spatiale européenne qui annonçait qu'un OVNI s'écraserait sur au sud du Sri Lanka ce jour là.

Et puis, le vendredi 13 novembre 2015, ce fut aussi des gens allant au match France-Allemagne au Stade de France, des gens en terrasse des bars parisiens, comme au Carillon, au Petit Cambodge, à La Bonne Bière, à La Casa Nostra, à La Belle équipe.
Et puis, des gens venus au Bataclan pour assister simplement à un concert. Le Bataclan, belle salle parisienne où des artistes variés viennent se produire depuis 1865.

Ba-Ta-Clan, référence à l'opérette d'Offenbach, chinoiserie musicale dans laquelle deux expatriés français se laissent entraîner dans un complot visant à renverser le roi dans ce lointain pays du "Chee-i-Noor". Café-théâtre au rez-de-chaussée, grand dancing et salle de billards au premier étage en 1865. Les artistes défilent : le comique Bienfait, Aristide Bruant, Buffalo Bill, Mistinguett, Maurice Chevalier,... Tour à tour vendue et revendue, cinéma, puis théâtre, puis cinéma à nouveau, puis re-théâtre, puis re-cinéma. Elle redevient salle de spectacle en 1983 ; influences rock et post-punk avec les passages du Velvet Underground, des Stray Cats, de Roxy Music, Police, The Cure,... Depuis 2004, elle se distingue par ses activités éclectiques, faites de spectacles, de discothèque, de café-théâtre, de galas divers (notamment à la police des frontières israéliennes), de meetings politiques et de concerts avec les grands artistes du moment venant du monde entier (de MGMT à Snoop Dogg en passant par Stromae, New Order, Jeff Buckley, Cesaria Evora, Bashung, NTM, Oasis, Motorhead,...).

Et puis en ce soir de vendredi 13 novembre 2015, c'étaient les Eagles of Death Metal qui se produisaient ! Avec Nick et W Canon, nous étions allés les voir dans cette même salle du bataclan en 2008. Je me souviens que nous étions restés au bar et que le chanteur semblait passablement éméché, voire plus si affinité.

Des gens qui tombent sous les feux de terroristes barbares, dans l'ombre d'une salle de concert ampli de sonorités musicales. Des gens qui tombent aux terrasses de bars parisiens venus boire un verre par cette douceur automnale nocturne inhabituelle.
Une semaine de témoignages, de déroulement des faits, d'interventions médiatiques en tout genre, d'images, de sons, de paroles, d'hypothèses, de bruits, de logo, de ralliements. Un flot... un tsunami d'informations en continue, souvent répétées en boucle, jusqu'à "l'écoeurement". Entendre les mêmes choses, voir les mêmes images, répéter, répéter. Entendre, témoigner de l'horreur. Moment impensable, insensé. Comment peut-on être aussi lâche pour tirer sur des gens sans défense, dans leur dos, ou alors qu'ils sont blessés, à terre ? Comment peut-on basculer et devenir à ce point inhumain ?
Et puis ces anonymes d'un jour qui filmaient depuis leur balcon. Pourquoi ne sont-ils pas intervenu ou pourquoi n'ont-ils pas eu la décence spontanée de ne pas filmer cette femme enceinte suspendue à un balcon ? Quelques jours plus tard, à Saint-Denis, nous découvrons ces négociations commerciales de quelques habitants avec les journalistes étrangers pour leur vendre des vidéo-téléphone-portable qu'ils ont "filmées" lors de l'intervention du Raid. Et puis ces spécialistes de l'anti-terrorisme, de l'Islam, de la Syrie, de l'intervention policière spécialisée, de la religion musulmane, ces ex-patrons des brigades d'intervention qui, ne sachant plus quoi dire d'original, se mettent à révéler les techniques d'approches de leurs anciennes brigades.
Durant cette semaine, nous avons vu constater une fois de plus l'omniprésence des médias. Toujours plus proche, toujours plus de détails jusqu'à parfois vouloir anticiper l'action policière. Pouvoir des médias, dictature des médias qui veulent être là, partout, tout le temps, tout relayer, tout dire. La course au scoop ultime qui en chasse un autre, toujours plus près de l'actualité ! Trop d'informations, trop de répétitions, trop d'invités, trop d'analyses ! Il en faut plus, toujours plus ! Pourquoi intervenir ? Comment intervenir ? Est-on préparé ? Quelles sont les dispositions ? Comment sont formés les gens du Raid ? Quelles sont leurs armes ? Ont-ils un point faible ? Ohlalalala, attention !!!!

Les médias ont parfois basculé de l'information aux renseignements.

Et puis cette omniprésence des réseaux sociaux ! Certes, une application Facebook qui permet aux Parisiens de dire qu'ils "sont en sécurité" afin de rassurer familles, proches et simples amis. Utile, intelligente, efficace.
Et puis ce besoin de se joindre à des groupes, montrer que nous sommes révoltés, que nous sommes solidaires, que nous sommes Paris, que nous prions pour Paris, que nous sommes Bleu-Blanc-Rouge, que nous connaissons les paroles de La Marseillaise par coeur... Cette même Marseillaise dénigrée quelques heures plutôt.

Devenir 'résistant' en allant boire des bières en terrasse. Comme l'écrit Sarah Roubato dans son texte "Lettre à ma génération : moi je n'irai pas qu'en terrasse" :
"Je ne suis pas sûre que si les attentats prévus à la Défense avaient eu lieu, on aurait lancé des groupes facebook « TOUS EN COSTAR AU PIED DES GRATTE-CIELS ! »"
Et de se poser la question, pourquoi la France a-t-elle été attaquée ?
"On a été attaqués parce que la France est une ancienne puissance coloniale du Moyen-Orient, parce que la France a bombardé certains pays en plongeant une main généreuse dans leurs ressources, parce que la France est accessible géographiquement, parce que la France est proche de la Belgique et qu’il est facile aux djihadistes belges et français de communiquer grâce à la langue, parce que la France est un terreau fertile pour recruter des djihadistes.(...)
Si la seule réponse de la jeunesse française à ce qui deviendra une menace permanente est d’aller se boire des verres en terrasse et d'aller écouter es concerts, je ne suis pas sûre qu’on soit à la hauteur du symbole qu’on prétend être. L'attention que le monde nous porte en ce moment mériterait que l'on sorte de la jouissance de nos petits plaisirs personnels." Sarah Roubato

Que faire alors ? S'engager dans l'armée et aller combattre... Combattre qui ? Nous ne sommes plus en 1914-1918, ni même en 1939-1945. L'ennemi est différent. Le conflit a changé. Plus de face à face, plus de combat au sol, plus de camps séparés.
Que faire alors ? S'engager dans la police et assurer la sécurité sur le territoire français. Et attendre de nouvelles attaques sur le sol français.
Je ne sais pas. Être vigilant, rester attentif, comprendre. Je vais voir sur le site "Comment devenir un ninja gratuitement" quelle sont les principales recherches faites par les Français sur Internet en ce moment. Le site est arrêté depuis avril 2014 et les dernières recherches trouvées sont : "quequette de caniche abricot, endives reproduction, sexualité dans sous marin Chatte mamie toilette intime, comment vomir un arc-en-ciel, comment les coccinelles savent si il va faire beau ?, andré malraux est un gros con, le tas dans l’art, n'ai pas peur laisse toi regarder par le christ..."
Je pense qu'il est plus efficace de se rendre sur le site du Monde pour avoir plus d'informations sur ce qu'est cet état islamique ou Daesh.

Comprendre la domination de l'Etat islamique en... par lemondefr

Rythmé par ces informations-renseignements permanents, il faut continuer à vivre ; pas forcément en restant le cul posé en terrasse d'un café à boire des demis, mais en... en... en... faisant quoi ?
Impossible d'aller au concert de Soviet Suprem à Ondres le samedi 14 novembre 2015. Tout est annulé. Les concerts, les manifestations sportives et autres rassemblements sont reportés à une date ultérieure. La France est en état d'urgence.
Le matin, dans les rues de Biarritz, c'est l'incompréhension, comme partout en France sûrement. On sent les gens se chercher du regard pour tenter d'apercevoir la même lueur de compassion pour les victimes. On se retrouve entre amis, on se téléphone pour avoir des nouvelles et partager les avis.
Le dimanche, il fait beau. Du côté des Sables d'Or d'Anglet, les terrasses des bars et des restaurants sont pleines. On sent que les gens ont besoin de sortir et d'être ensemble, de voir du monde. Il n'y a pas de discussions fortes, pas de cris d'enfants. Une sorte de torpeur règne pour accorder tout le monde.

La semaine se passe...
Comme chaque année, le troisième jeudi du mois de novembre, le Beaujolais Nouveau arrive !

On en boit en solo, entre amis ou en famille...
    
...pendant que les médias et politiques annoncent
qu'une attaque chimique est peut être à craindre.

Dessin : Marc Large

Et la musique reprend le dessus
parce qu'on ne peut pas vivre sans musique !

Comment peut-on vivre sans musique ? Sans Beaujolais, je pense que c'est possible, mais sans musique...

Le lendemain, nous sommes le vendredi 20 novembre 2015. Il y a 70 ans s'ouvrait le procès de Nuremberg. Il y a une semaine, à Saint-Denis et à Paris, 21h20, 21h25, 21h30, 21h32, 21h36, 21h40,...
Aujourd'hui, c'est jour de concert à L'Atabal avec Feu! Chatterton, groupe parisien faisant de la pop Carne. Ben oui, moi non plus, je ne sais pas ce que c'est que de la pop carne. Et dans le même temps, je me demande où ils ont trouvé ce nom de scène, "Feu! Chatterton".

FEU! CHATTERTON,
quel nom ?!

PREMIÈRE RÉFÉRENCE :
"Nom porteur d'une référence romantique qui leur va comme un gant, choisi après être tombé en admiration devant La Mort de Chatterton, le tableau du peintre britannique Henry Wallis." TÉLÉRAMA

Peinture :Tate Gellery, Londres

SECONDE RÉFÉRENCE :
Un texte d'Alfred De Vigny...
"Il veut le tuer à petit feu.
CHATTERTON : -Rien de plus vrai, je le vois aujourd'hui mylord.
M. BECKFORD : -Votre histoire est celle de mille jeunes gens ; vous n'avez rien pu faire que vos maudits vers, et à quoi sont-ils bons je vous prie ? Je vous parle en père, moi, à quoi sont-ils bons ? — Un bon anglais doit être utile au pays. — Voyons un peu, quelle idée vous faites-vous de nos devoirs à tous, tant que nous sommes ?
CHATTERTON (à part): -Pour elle ! Pour elle ! Je boirai le calice jusqu'à la lie. — Je crois les comprendre mylord ; — l'Angleterre est un vaisseau. Notre île en a la forme : la proue tournée au Nord, elle est comme à l'ancre au milieu des mers, surveillant le continent. Le roi, les lords, les communes sont au pavillon, au gouvernail et à la boussole ; nous autres, nous devons tous avoir les mains aux cordages, monter aux mâts, tendre les voiles et charger les canons : nous sommes tous de l'équipage, et nul n'est inutile dans la manœuvre de notre glorieux navire.
M. BECKFORD : -Pas mal ! Pas mal ! Quoiqu'il fasse encore de la poésie ; mais en admettant votre idée vous voyez que j'ai encore raison. Que diable peut faire le Poète dans la manœuvre ? "

TROISIÈME RÉFÉRENCE :
Le look dandy du chanteur Arthur : "C'est le masque que j'ai choisi, ce n'est pas une mystification. On peut aussi prendre la moustache comme celle de l'épicier plutôt que du jeune dandy XIXe. J'aime bien l'idée qu'on puisse penser que c'est quelque chose de très grave, de très sérieux, et en même temps complètement de pacotille. C'est fait avec beaucoup d'humour et d'autodérision." TELERAMA

Humour et autodérision, dandy et moustache ? Quel est alors le "style" musical du groupe ?

FEU! CHATTERTON,
quel style ?!

Décalé comment ?

Comme ça :

Non. Feu! Chatterton revendique des influences de Radiohead, Bashung, Gainsbourg, Arcade fire, Neil Young, Aphex Twin et Boards of Canada.
Le groupe mêle habilement langage poétique châtié, guitares électriques et claviers dignement hérités du rock progressif, empruntant, pour les textes, autant à la littérature du XIXème siècle qu'à l'écriture hip-hop. C'est un véritable brouillage de pistes, tantôt lyrique et envolé pour finir compléter certains morceaux par des crashs dancefloor ou des breaks intempestifs.

Dérision donc, mais chansons à textes.
Ce qui nous éloigne aussi de Spagguetta Orghasmmond !

Alors, un extrait de leur premier album sorti le 16 octobre 2015, "Ici le jour (a tout enseveli)". Un clip, une chanson, de la musique, des paroles, des animaux, des humains, boeing boeing !!!

Et là, comme moi peut être, tu te dis : "Mais qu'est-ce qu'y raconte ? De quoi ça parle c'te chanson ?"
Regardons les paroles.

FEU! CHATTERTON :
BOEING

"Jungle d'azur, de laine
Sans rochers pousse ton lichen
De lait
Que cache ton immensité?
Bêtes de tôle — Mais lesquelles?
Qui crient quand siffle le nickel
Au ciel
— C'est drôle! — n'ont plus de densité.

Boeing, Boeing!
Et tes mouvements lents sont de majesté
Est-ce la faute de tes passagers indigestes
Si tu penches?

Jungle embuée d'azur
Aux arbres pour passer l'ennui
Tant de têtes tes nuées eurent
Chimères!
Ces fantômes peuplent ta cité
Blanc jardin suspendu aux heures
Du jour ta forêt de vapeur
A pris
Notre monstre électricité

Boeing! Boeing!
Et tes mouvements lents sont de majesté
Est-ce la faute de tes passagers indigestes
Si tu penches?
Boeing, Boeing!
Et tes mouvements lents sont de majesté
Est-ce la faute de tes passagers indigestes
Si tu penches
Boeing! Boeing!
À gauche, à l'Est Enfin comme un vieil éléphant"

Paroles : Feu! Chatterton
Musixmatch

Ouais ben...

Une autre question que l'on peut se poser ici est : "Mais comment as-tu eu connaissance de ce groupe, Jénorme ?"
La réponse est simple. Pour le savoir, il te faut aller voir ici : De passage en Armagnac.

ET MAINTENANT :
allons au concert !